Rubinow - American Journal of Psychiatry
La médecine et plus particulièrement la psychiatrie ont une relation des plus ambivalentes avec les troubles de l’humeur chez les femmes.
C’est le constat effectué par le Dr. David Rubinow dans son édito pour l’American Journal of Psychiatry [Revue Américaine de Psychiarie]. Il appuie son propos en citant une myriade de croyances erronées (« Si cela ne concerne pas toutes les femmes, ça n’existe pas ! »), superstitions (la nature tantôt toxique tantôt thérapeutique du sang menstruel dans l’histoire de la médecine) ou bien stéréotypes qui avaient pour but de nier l’évidence : chez les femmes, la physiologie des organes reproducteurs est intimement liée à la régulation des humeurs. En dépit des études de plus en plus nombreuses montrant l’efficacité de médicaments s’appuyant sur ce principe, ainsi que de la mise sur le marché de médicaments spécifiques à ces troubles (comme le TDPM), ce scepticisme perdure encore chez certains professionnels.
Toutefois, de nouvelles découvertes continuent d’alimenter la recherche dans ce
domaine qui semble prometteur. Très récemment, un groupe de chercheurs mené par la chercheuse Erika Comasco a par exemple proposé une nouvelle méthode de traitement du TDPM à base d’acétate d’ulipristal (Ulipristal Acetate ou UPA en anglais).
Les 95 femmes testées rapportent non seulement une baisse substantielle des symptômes en termes de dépression et d’irritabilité mais aussi un taux de rémission plus rapide des symptômes présents.
Ces nouvelles avenues de traitement soulèvent selon le Dr. Rubinow 3 questions majeures.
1. Mais pourquoi la recherche devrait-elle s’intéresser au TDPM ?
Au-delà de sa prévalence (à peu près 5% des femmes, on le rappelle) et du besoin
évident d’aider les personnes atteintes, le TDPM offre une opportunité pour les chercheurs de comprendre une chose bien plus fondamentale ; une chose qui leur échappe depuis de nombreuses années : qu’est-ce qui détermine que nous passions d’un état émotionnel à un autre ? Ces états peuvent être considérés comme des sortes de programmes qui colorent notre façon d’interpréter le monde qui nous entoure et d’interagir avec lui. Aussi, nous comptons toutes et tous sur notre capacité à rester dans un certain état ou à en changer au quotidien, et développons des stratégies pour faire cela : boire un verre en rentrant du travail, partir faire son jogging matinal, méditer, etc.
Si on se penche souvent sur les symptômes du TDPM, ce que cette perspective nous apprend, c’est qu’un trouble émotionnel ne se résume pas à ses symptômes, mais aussi à ce que l’auteur appelle la kinétique : la persistance non-voulue d’un état ou encore le changement parfois indésirable d’un état à un autre. Autrement-dit, dans le cas du TDPM, la capacité de l’état émotionnel à varier est autant un symptôme que l’état émotionnel atteint lui- même. Quelle aubaine alors pour les chercheurs d’étudier pour une fois un trouble où l’on peut prédire avec une relative précision quand l’état d’un.e patient.e changera afin d’observer comment et pourquoi ce changement a lieu ! C’est ainsi qu’au-delà de ses conséquences, le TDPM présente un véritable intérêt dans la recherche médicale actuelle.
2. Qu’est-ce qui nous fait croire que des hormones liées au système reproducteur réguleraient le comportement ?
Une des conséquences de l’histoire tumultueuse de la psychiatrie avec les troubles
touchant l’appareil reproducteur féminin fut un intérêt préférentiel pour d’autres hormones dans la famille des hormones stéroïdiennes. Si ce terme est actuellement plus souvent utilisé lorsqu’on parle de dopage dans le milieu sportif, il concerne aussi un bon nombre d’hormones sexuelles comme par exemple la progestérone, les œstrogènes ou les androgènes ! C’est ainsi que le cortisol, la fameuse « hormone du stress » a vu de très nombreuses recherches s’intéresser à ses effets tandis que les autres furent quelque peu laissées sur la touche.
La progestérone est par conséquent l’une des hormones stéroïdiennes les moins
étudiées par les psychiatres et neuroscientifiques. Pourtant, l’expérience d’Erika Comasco et bien d’autres suggèrent que son rôle – comme on a pu le croire dans le passé – ne se limite pas à la physiologie utérine, mais s’étend largement jusqu’à toucher la sphère de la régulation des comportements. Ainsi, la régulation les symptômes associés aux troubles comme le TDPM pourrait reposer sur la compréhension des signaux hormonaux, c.à.d. la variation plus ou moins fréquente des niveaux d’hormones stéroïdiennes telles que la progestérone et ses produits. Le lien avec la première question est ainsi fait : on ne s’intéresserait plus autant au taux d’hormones en lui-même, mais à sa capacité à changer plus ou moins rapidement en fonction des traitements considérés.
3. La thérapie hormonale devrait-elle faire partie de la panoplie des psychiatres ?
La réponse paraît évidente au regard de résultats positifs ayant été obtenus auprès de populations diverses (par exemple auprès de femmes atteintes de dépression post-partum).
Les résultats de différentes expériences (comme celle d’Erika Comasco et de son équipe) s’accumulent aujourd’hui pour démontrer le potentiel de la thérapie hormonale dans le TDPM et d’autres troubles. Si d’autres résultats sont toujours nécessaires afin de confirmer l’efficacité et de préciser les traitements, il est clair lorsqu’on additionne ces découvertes que les psychiatres d’aujourd’hui comme de demain se devront d’être attentifs au rôle joué par les hormones de la reproduction dans la régulation des états émotionnels. N’en déplaise à la vision archaïque et patriarcale de la psychiatrie que certains véhiculent encore, les hormones du stress ne détiennent visiblement pas toutes les réponses à nos questions.
Puisque le TDPM est étroitement lié au cycle menstruel, il est évident qu’il touche des
personnes en âge de se reproduire. Autrement-dit, des personnes qui pourraient souhaiter adopter une méthode contraceptive. Seulement, on sait depuis le début des années 2000 que la physiologie hormonale jouerait un grand rôle dans le TDPM, et que l’interférence des méthodes de contraception sur les symptômes du TDPM peut être désastreuse (Backstrom et al., 2003).
Qu’est-ce que les dernières recherches en la matière nous apprennent afin de conseiller au mieux les personnes atteintes de TDPM vis-à-vis de leur contraception ? C’est la question que se sont posées 3 chercheuses de l’université de Californie.
D’après ces chercheuses, si certaines méthodes contraceptives (comme la prise de certaines pilules contraceptives, notamment) ont pu être recommandées dans le cadre d’un traitement du TDPM, elles ne sont pas toutes égales dans leur efficacité comme dans leurs effets secondaires.
Bien qu’elles émettent certaines recommandations, elles insistent sur le fait que le régime contraceptif de chaque personne est à évaluer au cas-par-cas. De plus, de potentielles contre-indications pourraient expliquer qu’un.e professionnel.le de santé puisse avoir un avis différent du cas « général » qu’elles présentent.
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